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« Je rayonne bien plus loin que le cancer » 11 nov. 2021
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A l’aube de leur 36e anniversaire, Mélissa* et Mélanie* (prénoms fictifs puisque témoignages anonymes), des sœurs jumelles, racontent leur expérience très personnelle de lutte contre le Cancer du Sein, en tant que proches - leur mère est décédée fin mai 2020 des suites d’un Cancer du Sein métastasé -, et en tant que survivantes elles-mêmes de cancers du sein, diagnostiqués chez l’une puis l’autre alors qu’elles étaient respectivement âgées de 31 et 32 ans et pendant que leur maman était en traitement.

 

  • La lutte contre le cancer du sein a une résonnance singulière pour vous deux. Est-il facile pour vous d’en parler ?

    Mélanie* : Nous en avons toujours beaucoup parlé chez nous. Pour ma part, je veux partager mon expérience, parce que je veux que ce soit facile pour tout le monde d’en parler ; cela rendrait la maladie moins stigmatisante et isolante pour les personnes atteintes. Je pense personnellement qu’en taisant le sujet lorsque l’on est soi-même atteint, on en fait un tabou inavouable pour soi-même et que plus on en parle, mieux on se sent.
    Mélissa* : De mon côté, pendant et après le traitement, ce n’était pas un tabou. Nous étions en plein dedans, le sujet a toujours été sur la table. Seulement aujourd’hui, même si je n’ai aucun problème à raconter mon histoire, je ne veux pas forcément que les gens que je rencontre pour la première fois ne me voient que comme celle qui a lutté contre un cancer du sein. Je veux me dire et dire aux autres que celle que je suis rayonne bien plus loin que le cancer. C’est important pour moi et c’est pourquoi je choisis de témoigner ici de manière anonyme.


  • Vous aviez environ 18 ans à l’annonce du premier diagnostic de cancer du sein de votre maman. Quels sont les sentiments qui vous ont habité à ce moment-là ?

    Mélanie* : Je n’ai pas de grands souvenirs de ce moment. Sur le coup, il y a quand même dû avoir un choc, mais je ne m’en rappelle pas aujourd’hui comme d’une épreuve particulièrement lourde, pénible ou douloureuse.
    Mélissa* : Moi non-plus. Ce dont je me souviens c’est que nous étions dans sa chambre, elle a senti une grosseur. Je me rappelle que cela ne nous avait pas particulièrement alarmée à ce moment-là. Nous n’étions pas très informées à ce stade sur le cancer du sein.


  • Pourtant, le cancer du sein était apparu dans votre vie bien avant ce moment ?

    Mélanie* : Dans notre cas, le cancer du sein est héréditaire, c’est-à-dire que le potentiel de mutation génétique est bien présent. Et oui, nous étions encore plus jeunes au moment où le cancer du sein est entré dans notre vie ; via nos deux tantes maternelles vivant en Angleterre, diagnostiquées il y a à peu près 25 ans, puis quelques années plus tard, notre grand-mère maternelle, chez qui on a découvert un cancer du sein alors qu’elle avait environ 75 ans. Nous ne faisions pas grand-cas de ce potentiel héréditaire, même si on était bien conscientes de son existence. Même quand notre maman a été diagnostiquée, pour nous il s’agissait simplement d’une maladie qui l’avait touchée, et pour laquelle le traitement devait simplement suivre son cours.
    Mélissa* : Notre tante, la première qui a été diagnostiquée, nous poussait toujours à faire le test génétique, elle en parlait beaucoup.


  • A quel moment avez-vous pleinement pris conscience de ce potentiel héréditaire chez vous deux aussi ?

    Mélanie* : Ma grand-mère maternelle avait huit enfants, et sur les huit, cinq, soit deux de mes tantes, deux de mes oncles et notre maman, ont eu la mutation génétique, ce qui impliquait qu’ils avaient 80% de chance de développer un cancer du sein dans leur vie d’adulte. Une de nos cousines, fille d’un des oncles porteurs, est décédée il y a une dizaine d’années, à l’âge de 36 ans, d’un cancer du sein.
    Mélissa* : A partir du moment où il y a eu 4-5 membres de notre famille maternelle qui ont été diagnostiqués, nous avons commencé à être interpellées. Nous avons entrepris de faire le test de dépistage de la mutation génétique alors que notre maman était en traitement pour son cancer métastasé, revenu en 2016, après un diagnostic de cancer du sein gauche en 2003, puis un diagnostic de cancer du sein droit en 2009. Comme le test coûtait cher et que ma sœur et moi étant jumelles identiques, le résultat serait le même pour nous deux, j’ai fait le test seule, dans une clinique privée et nous avons reçu le résultat quelques mois plus tard. Il était positif ; j’étais bien porteuse du gène en mutation, ce qui impliquait que ma sœur aussi.


  • Et puis vient le moment de diagnostic pour vous, Mélissa*, un an après ; vous aviez 31 ans à ce moment-là.

    Mélissa* : Même si je savais que la potentialité de développer un cancer du sein était très élevée pour moi, l’idée que cela puisse être aussi imminent ne m’avait pas frappée. Dans ma tête j’étais encore jeune. Mais depuis le résultat du test génétique, je pratiquais l’autopalpation systématiquement tous les mois, comme un exercice régulier, entrepris sans stress. Un jour, j’ai senti une bosse dans mon sein droit, et je savais que cette bosse n’était pas là d’habitude. Je ne suis pas du genre à laisser trainer les choses, alors je me suis rendue dès le lendemain à l’hôpital Jeetoo pendant ma pause déjeuner. Le médecin que je vois et à qui j’explique toute mon historique familiale m’examine, sent en effet quelque chose d’anormal, et me recommande une échographie, que je fais dans les jours qui suivent ; le radiologue voit quelque chose de suspect et recommande une biopsie. Je vais voir le médecin qui suivait ma maman ; qui me dit que je suis trop jeune pour que ce soit un cancer, qu’il s’agissait d’un cyste qu’il fallait enlever. Et que si je voulais on pourrait ensuite faire une biopsie. La grosseur est enlevée sur ses recommandations, la biopsie est pratiquée après. Je suis rassurée, je me dis que ce n’était qu’une grosse frayeur. Et puis, les résultats de la biopsie arrivent. Le médecin m’appelle et m’annonce, qu’en fait, il y avait bien un cancer. C’est un choc immense, inimaginable pour moi qui venais tout juste de balayer l’hypothèse d’un cancer.
    Cet effet choc est resté plusieurs mois, je suis entrée dans une sorte de déni ; je me disais qu’il y avait sûrement eu une erreur quelque part dans les examens pratiqués. Je ne me rends à l’évidence qu’une fois prise en charge à Johannesburg dans un centre spécialisé pour le cancer du sein, par toute une équipe pluridisciplinaire spécialisée – un « breast surgeon », oncologue, radio-oncologue… J’y apprends que le fait d’avoir enlevé la grosseur avant la biopsie était une erreur, puisque cela occasionnait un risque de propager le cancer de manière incontrôlée. Je passe ainsi par une deuxième chirurgie pour corriger la première ; celle-ci guidée par les images de radiographie, et l’on s’assure cette fois de bien enlever les tissus autour. Puis j’entame la chimiothérapie et ensuite la radiothérapie.


  • Et ensuite, Mélanie* est diagnostiquée…

    Mélissa* : Je termine ma dernière radio en novembre 2017, et au début de l’année suivante, Mélanie* sent quelque chose d’anormal, pas dans ses seins mais dans les aisselles. Une première série de tests au début ne montre rien. Puis, une biopsie pratiquée à Maurice et ensuite un « Breast MRI » dans mon centre de traitement en Afrique du Sud amènent à détecter effectivement la présence d’une cellule cancéreuse de 4 millimètres. Nouveau choc ! Cela paraissait tellement invraisemblable : des sœurs jumelles et leur maman, diagnostiquées d’un cancer du sein sur trois années successives (2016 pour notre maman, 2017 pour moi et 2018 pour Mélanie*). Elle suit le même protocole de traitement que moi, avec pour elle, la décision de faire conserver ses ovocytes, qui pourraient être abîmés pendant la chimiothérapie.


  • Comment on fait pour vivre le traitement en tant que proche d’une personne atteinte quand on est ou a été soi-même atteint ? Parce qu’entretemps la santé de votre maman se détériore

    Mélanie* : D’abord effondré, on entre vite ensuite dans un mode presque automatique de sauveur, de celle qui va remuer ciel et terre pour que sa maman s’en sorte : enfin c’était ça pour moi. Il fallait s’attaquer au cancer de notre maman, il était déjà au Stage 4, ce qui impliquait qu’il fallait gérer les complications qui arrivaient les unes après les autres. Je n’avais pas le temps de me laisser envahir par les émotions. Je faisais ce qu’il y avait à faire. Quand on ajoute à tout ce cocktail, un sentiment d’espoir qui reste là, tenace, on se sent pousser des ailes, on se sent fort.
    Mélissa* : Ce sentiment d’espoir était très fort. Nous étions en contact avec des médecins en Afrique du Sud et aux Etats-Unies pour essayer de nouveaux médicaments quand une médication ne faisait plus effet. Malgré tout, ses marqueurs cancéreux augmentaient. Nous étions immergées dans cette course ; ma sœur plus que moi peut-être. Je passais par un moment post-traitement très dur, j’avais un problème avec la repousse de mes cheveux, qui ne se passait pas comme prévu, et c’était un gros coup sur mon « self-confidence » ; un souvenir tangible et douloureux que je n’étais pas celle que j’étais avant la maladie. C’est une lutte quotidienne et je ne serai jamais comme j’étais avant. Mais bon, voilà, l’état de notre maman s’empirait, c’était atroce et on avait en plus nos propres combats.


  • Vous vous êtes beaucoup informées sur le cancer du sein, en tous cas, sur ceux qui vous ont touchées très concrètement… A partir de quel moment avez-vous senti le besoin de réunir ce maximum d’information ?

    Mélanie*
     : J’ai senti le besoin de m’informer au maximum, d’abord pour ma maman au moment où on lui découvrait des métastases, pour considérer toutes les options de traitements disponibles, et puis pour nous. Cela m’a permis de me focaliser sur quelque chose de concret et de voir les choses positivement. Donc, pleine d’un espoir un peu aveugle peut-être, je suis restée positive tout le long ; je racontais aux personnes autour de moi ce que je voyais tel que je le voyais sincèrement : je disais qu’elle répondait bien au traitement par exemple. Mais au stage 4, le cancer est tellement agressif qu’il surmonte les étapes du traitement et il revient plus fort. Il faut être plus rapide et se relever avant lui pour le neutraliser jusqu’à ce qu’il ne puisse plus se relever.


  • C’est une image donne tout son sens aux mots « combat » ou « lutte » contre le cancer…

    Mélanie* : Oui. Et les moments d’accalmie sont comme des moments de cessez-le-feu où tout est calme ; les deux sont K.O, puis le cancer se relève et on reprend. Je pense que la chimiothérapie est un traitement qui fonctionne. Je pense aussi que la santé mentale est un aspect très important du traitement.

 

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