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Jean Toussaint : « La pauvreté est, avant tout, une question de droits humains » 17 oct. 2018
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Le Comité 17 Octobre, qui réunit plusieurs organisations de lutte contre la pauvreté dont l’A.T.D Quart Monde (Maurice), a invité le public à un événement organisé à l’Université de Maurice, le samedi 13 octobre. Une manière de marquer la Journée du 17 octobre, Journée Mondiale du Refus de la Misère. Questions à Jean Toussaint, du Mouvement A.T.D Quart Monde à Maurice, la Réunion et Madagascar…

  • Dans votre Dossier de Presse, vous évoquez le rapport des Nations Unies sur l’« Extrême Pauvreté et Droits de l’Homme »… Quand a été publié ce rapport et quelles sont ses principales conclusions ?

C’est un rapport qui a été voté par le Conseil des Droits de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 2012 et adopté par l’Assemblée Générale en 2013. Il fait suite à plus de 25 ans de combat d’A.T.D Quart Monde pour essayer de faire reconnaître la misère comme une violation des droits de l’homme, car jusque-là, la misère avait toujours été décrite en terme monétaires, notamment par la Banque Mondiale. En travaillant directement avec des familles défavorisées nous voyions que la misère allait bien au-delà. Il s’agissait de personnes n’ayant pas d’accès aux logements, faisant face à des problèmes de chômage ou de santé, ainsi que des discriminations, des choses tangibles que ne voyait pas la Banque Mondiale.

 

  • Avant 2012, l’approche au niveau mondial manquait un peu d’humanité ou en tous cas de connexion avec les réalités vécues par les communautés directement touchées ?

Cette approche débouchait sur des politiques nationales ne tenant pas compte des réalités, ce qui condamnait les familles à rester dans le circuit de pauvreté.

Une des hautes responsables des projets humanitaires de l’ONU nous racontait avoir été dans un village africain avec une aide importante. Le chef du village l’a accueillie avec tous les honneurs, et lui a expliqué qu’ils allaient bien gérer tout cet argent. Pour cela, ils ne le donneraient pas à tel et tel groupe de familles, mal vues du village, pour que cet argent ne soit pas dépensé inutilement. En ne tenant pas compte des questions de discrimination, l’aide a creusé encore plus profondément un fossé entre les plus défavorisés et l’ensemble de la population. La population s’est développée, et les plus pauvres se sont retrouvés encore plus pauvres.

 

  • En tant qu’organisation qui travaille avec les personnes vivant en situation de grande pauvreté, pensez-vous que les projets élaborés ne correspondent effectivement pas aux besoins réels de ces mêmes personnes ?

« L’aide telle qu’elle est pensée ne correspond pas à nos besoins, nous la vivons comme imposée pour satisfaire les désirs des penseurs de projets qui veulent nous dicter leurs valeurs. » C’est une phrase qui nous vient d’une personne en situation extrêmement précaire à Maurice. Cette personne faisait partie d’une communauté qui avait été relogée à l’écart du village. Dans une rencontre avec des ONG et des médias, un habitant avait demandé du soutien. Quelques jours plus tard en rentrant chez lui, il voit un camion qui débarque et décharge toute une cargaison de vêtements. Les habitants du quartier se précipitent et se disputent les vêtements. Des journalistes étaient là. Les personnes charitables qui ont fait ces dons étaient de bonne volonté. Mais le résultat a été la division chez les familles et le renforcement du mauvais regard sur elles. Tandis que ce qu’ils souhaitaient, c’était que l’éducation de leurs enfants suscite l’intérêt des enseignants, que la fourniture d’électricité du village s’étende aussi à leurs quartiers…  Soit faire partie du village, au même titre que les autres villageois. Donc, la réponse au cri de détresse pour ne plus être isolés est venue les enfoncer au lieu de les aider.

 

  • En gros, le plus gros besoin des personnes vivant en situation de pauvreté extrême est celui d’être écouté et entendu ?

Partout dans le monde, des projets sont menés pour lutter contre la pauvreté. Pourtant, partout dans le monde, la grande pauvreté continue à exister, même dans les pays les plus riches. La misère ne disparaît pas avec le développement, et aucun pays n’a de leçon à donner à d’autres sur ce sujet.

Nous connaissions des personnes qui travaillaient dans un marché aux poissons dans une ville africaine importante. Il y avait des marchands bien installés, et aussi beaucoup de personnes qui donnaient un coup de main pour nettoyer, transporter du bois, faire mille petits métiers. Des bailleurs internationaux ont financé la rénovation de ce marché aux poissons, qui est devenu bien plus moderne. Mais la plupart des petits travailleurs qui vivaient grâce à ce marché ont perdu leur possibilité de travailler. Ce qui est considéré par beaucoup comme le « développement » a en fait rendu encore plus pauvres des centaines de personnes.

Si nous ne nous trouvons pas les moyens de nous associer avec les personnes en difficulté elles-mêmes, nous risquons de créer un développement qui ne détruira pas la misère, voire qui la renforcera. La bonne volonté ne suffit pas. Nous avons une responsabilité dans ce domaine, depuis l’action locale jusqu’aux stratégies nationales.

 

  • Si je comprends bien, l’événement qui a eu lieu à l’Université de Maurice avait pour but d’engager la participation des personnes directement concernées dans des discussions d’où elles sont souvent laissées pour compte, et de valoriser leur vécu et leurs savoirs afin de répondre au mieux à leurs besoins ?

Nous voulions tenter d’échanger autour d’une compréhension de ce qu’est la misère et de ce que signifie lutter contre la misère. Plusieurs groupes réunissant des travailleurs sociaux, des étudiants, et des personnes des communautés directement touchées par les situations de pauvreté extrême ont amené leurs réponses. L’objectif étant que chacun puisse se rendre compte « pratiquement » de l’importance de réunir différents types de savoirs pour tenter de formuler les réponses les plus justes possibles.

 

  • Aborder la question de la pauvreté comprend de situer la personne concernée dans un contexte multi-sectoriel, car la pauvreté engendre des problèmes connexes et interreliés qui embarquent la personne dans un engrenage d’où elle ne sort pas, ou difficilement : absence d’estime de soi | échec scolaire | problèmes de logement | états dépressifs menant vers des troubles additionnels tels que les problèmes d’addictions | manque de motivation | absence de plans de vie… La réponse idéale ne serait-elle donc pas multisectorielle plutôt que de se concentrer sur un seul ou deux de ces besoins ?

 

D’une manière générale, il y a bien un besoin d’approche multisectorielle et c’est pour cette raison que nous avons choisi une approche centrée sur les droits de l’homme. Les différents droits fondamentaux sont liés : comment tenir un travail quand on n’a pas de logement, comment avoir un logement quand on n’a pas de travail ? Comment les enfants peuvent-ils apprendre à l’école si la famille est en errance ? Etc… La misère est un cercle vicieux qui demande une vraie politique d’ensemble, une politique d’accès aux droits fondamentaux, c’est à dire à ce qui permet de vivre dignement et de contribuer à l’avancée de son pays. Même si certaines ONG restent dans le purement caritatif, de nombreuses autres sont pour cette approche globale.

Les organisations regroupées sous le Comité 17 Octobre se sont d’ailleurs mises ensemble pour faire avancer cette question de la lutte contre la pauvreté en termes d’accès aux droits pour tous et de partenariat avec les plus défavorisés eux-mêmes, ce qui est l’approche de l’ONU avec cette journée internationale. Mais, malgré des projets, on n’est pas encore sur une véritable politique sur ce sujet.

Par laquelle des différents problèmes liés à la misère il faudrait commencer (logement, travail, éducation, formation... ? Difficile de répondre. Mais je pense que prendre le temps de s’asseoir avec les populations directement concernées dans le respect des uns et des autres est un bon début ! Une femme habitant un quartier de squatters nous disait : « Bizin asiz ansam diskite »

 

  • Si la question des droits était mieux considérée au niveau étatique, vous pensez que le combat contre la pauvreté extrême porterait un meilleur résultat ?

Absolument ! Une approche en termes de droits veut dire s’assurer que les mesures qu’on prend pour le travail, pour le logement, etc… touche vraiment tout le monde, et c’est de cela dont nous avons besoin pour détruire la misère, et pas seulement toucher les plus dynamiques ou les moins en difficulté. Et aussi une approche en termes participatifs.

 

 

 

A propos du Comité 17 octobre…

Il s’agit d’une plateforme de la société civile engagée dans le combat pour l’élimination de la pauvreté « dont l’objectif est de promouvoir l’esprit de la Journée Mondiale du Refus de la Misère et le changement de perspective qu’elle implique en terme de lutte contre la pauvreté ».
Les organisations regroupées sous le Comité 17 octobre sont : A.T.D Quart Monde (Maurice), Caritas Ile Maurice, l’Institut Cardinal Jean Margéot (ICJM), la Fondation Joseph Lagesse, le Mouvement pour le Progrès de Roche-Bois, la Fondation pour l’Enfance Terre de Paix, Service Volontaire International (SVI), la Confédération des Travailleurs du Secteur Privé (C.T.S.P), le Centre Idrice Goomany…

 

 

 

Série d'actvités au Balfour…

La Fondation pour l'Enfance Terre de Paix et le groupe Abaim organisent une série d'activités au Jardin Balfour à Beau-Bassin le mercredi 17 octobre pour marquer la Journée Mondiale du Refus de la Misère. De 10h à 17h, le public pourra assister à une exposition de la méthode pédagogique prônée par la Fondation pour l'Enfance Terre de Paix, ainsi qu'une exposition des travaux des ateliers d'artisanats et du volet "Ti lantrepriz sosial" du groupe Abaim. Des ateliers animés par les enfants et les encadrants des Centres d'Eveil de Terre de Paix et le volet "Latelie-di-Savwar" d'Abaim tourneront autour de la thématique de la misère et trois ateliers-discussions tourneront autour de la thématique de la sécurité alimentaire, la culture et l'éducation pour combattre la misère. A partir de 15h15, la commémoration officielle débutera avec un mini-concert du groupe Abaim. 

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